Dr Abdelouahed Kerrar Président de L’UNOP: “L’agence Nationale des Produits Pharmaceutiques doit au moins doubler son personnel à très bref délai.“
–37Degrés : Le gouvernement a adopté dernièrement tout un train de mesures destinées à relancer le développement de l’industrie pharmaceutique et mieux maitriser les importations de médicaments. Pensez-vous que cela contribuera à l’objectif recherché de réduction de la facture en devises de ces importations ?
–Dr Abdelouahed Kerrar : Dans un contexte économique marqué par le déficit structurel de la balance des paiements du pays, les mesures annoncées étaient, à nos yeux, tout à fait attendues. Celles-ci s’inscrivent par ailleurs dans une démarche que les producteurs nationaux connaissent d’autant mieux que c’est dans ce cadre même
qu’ils ont travaillé depuis plus d’une dizaine d’années et qu’ils ont contribué à hisser la production pharmaceutique nationale au niveau où elle se trouve aujourd’hui et sans laquelle la facture-devises du médicament serait aujourd’hui à plus de 5 Mds de $US.
Et cela, sans tenir compte de l’effet pandémique qui a décuplé les contraintes d’approvisionnement sur les marchés internationaux. Ceci-dit, les producteurs sont, de leur côté, prêts à poursuivre leurs efforts et à se conformer aux disciplines nouvelles que les autorités entendent mettre en place. Ils estiment néanmoins qu’afin que ces efforts soient couronnés de succès, il y a besoin que les institutions qui encadrent l’activité pharmaceutique nationale soient elles-mêmes réellement mises à niveau et dotées des moyens humains et matériels conséquents afin qu’elles soient en mesure de répondre avec efficacité et célérité aux lourdes missions que la loi leur a assignées.
-Pouvez-vous être plus précis concernant vos attentes concrètes en termes de mise à niveau institutionnelle ?
Avec le nombre grandissant des établissements de fabrication et le renforcement de leurs capacités de production, les sollicitations à l’enregistrement des producteurs seront de plus en plus fortes au cours des prochains mois. A cela s’ajouteront les demandes d’enregistrement des établissements de fabrication en cours de réalisation. Il convient de rappeler que les processus d’enregistrement nécessitent des étapes de pré-soumission, d’évaluations administratives et techniques, des contrôles de qualité de matières premières et de produits finis, ainsi que des avis de commissions centrales interdisciplinaires. Cela nécessite naturellement l’engagement de moyens matériels et humains considérables afin d’assurer l’activité requise face à cette demande grandissante. Il en va de même pour les besoins relatifs à l’homologation, désormais obligatoire, des dispositifs médicaux, il convient de rappeler que des milliers de dispositifs médicaux sont en attente d’homologation.
Le Contrôle-Qualité à la libération des lots de produits pharmaceutiques fabriqués localement et importés en routine pour couvrir les besoins du marché national est une autre mission qui incombe à l’ANPP et qui nécessite à elle seule un déploiement de moyens humains et matériels importants afin d’éviter les ralentissements dans l’approvisionnement du marché et les ruptures de stock . Aussi, les missions d’audit et d’inspection des différents sites de production au niveau national et à l’étranger afin de s’assurer constamment que les produits pharmaceutiques consommés dans notre pays répondent aux meilleurs standards de qualité nécessitent des moyens plus importants, notamment humains avec des inspecteurs formés, et c’est globalement tout notre système de formation qui devra lui-même être renforcé et adapté pour mieux couvrir les besoins spécifiques liés aux métiers de l’industrie pharmaceutique et cela touche autant les cycles de formation supérieurs dédiés à l’encadrement ou à la recherche, que ceux des opérateurs de base indispensables pour le bon fonctionnement de nos unités de production. Soyons clairs qu’il s’agisse de l’ANPP (Agence nationale des produits pharmaceutiques), du centre de pharmacovigilance ou même de nos universités, toutes ces institutions font du mieux qu’elles peuvent, mais elles restent insuffisamment outillées.
Elles ont besoin d’un véritable plan Marshall
pour les hisser au niveau d’excellence qui leur permettrait d’accompagner le développement de notre industrie pharmaceutique à la hauteur des ambitions qu’affichent légitimement nos autorités au plus haut niveau. Pour retenir un seul exemple, nous estimons à l’UNOP que pour accompagner efficacement notre industrie, l’ANPP doit au moins doubler son personnel à très bref délai. Certes, nous n’ignorons pas que la situation budgétaire est loin d’être favorable aujourd’hui ; mais pour nous autres producteurs engagés sur le terrain, cette mise à niveau est à considérer comme un investissement indispensable, faute de quoi nous continuerons à tourner en rond, et tout le programme actuel de relance de notre industrie ne produira pas les résultats escomptés.
-Le gouvernement a également décidé de mesures destinées à développer l’exportation de produits pharmaceutiques.
Au niveau de l’UNOP, cela fait plusieurs années que nous attirons l’attention de nos autorités sur l’ampleur des investissements consentis par le secteur pharmaceutique national, privé comme public. Or, nous savons que, tous ces projets ne pourront être dûment rentabilisés s’ils ne devaient s’appuyer que sur notre marché interne. Celui-ci s’avère déjà, à l’évidence, trop étroit et insuffisant malgré qu’il soit par sa taille un des tous premiers à l’échelle africaine. Et nous savons également que, dès lors qu’il s’agit de croissance à rechercher sur les marchés extérieurs, il n’y a pas de place à l’improvisation ou aux mesures parcellaires ou de court terme.
Ce que nous disons, c’est qu’à l’échelle de nos entreprises et à la lumière des expériences concrètes vécues, il y a de gros progrès à attendre sur le terrain de l’exportation et cela dépasse le seul champ de compétences du ministère de l’industrie pharmaceutique. Nous avons eu, par le passé, à formuler de nombreuses recommandations en la matière, qu’il s’agisse de l’appui auprès des institutions et administrations étrangères, de la modernisation de notre infrastructure logistique, de l’adaptation du régime des changes, de la levée des restrictions à l’investissement extérieur, de la fiscalité appliquée aux services liés à l’exportation, etc. Nos concurrents sur les marchés cibles n’ont non seulement pas nos contraintes, mais jouissent de facilités extraordinaires pour exporter. Aussi, si nous saluons l’intérêt qui est affiché par le gouvernement à l’exportation du produit pharmaceutique algérien, nous attendons surtout de prendre connaissance du détail des mesures envisagées, en même temps que de leur opérationnalité. Nous sommes donc conscients que beaucoup de travail nous attend en la matière.
-Comment analysez-vous le soutien apporté par le gouvernement au développement des projets d’investissement de SAIDAL ?
Pour n’importe quel pays, un grand opérateur pharmaceutique public, solide et performant, est une nécessité dans le domaine de la santé publique. On le voit bien avec le contexte pandémique actuel où l’existence d’un outil industriel public a sans doute facilité l’implication directe de l’Etat dans la production de vaccins.
Cela étant, production publique et production privée ne s’opposent pas et sont, à nos yeux, tout à fait complémentaires.Tous les acteurs performants et compétitifs ont leur place sur notre marché, leur croissance sert les intérêts de l’économie nationale dans son ensemble.
C’est pourquoi nous invitons les autorités concernées à lever les obstacles qui, malgré les orientations, continuent à contrecarrer la réalisation de nombreux projets d’investissement, que ce soit au niveau du CNI ou de l’ANDI. Par ailleurs, nous devons prêter attention à des enjeux majeurs tels ceux liés au développement des biotechnologies, à la recherche pharmaceutique, à la levée du monopole public sur la production et la distribution de vaccins, à l’équilibre de notre relation avec les grands laboratoires mondiaux, à la promotion internationale de trois ou quatre grands champions nationaux. En ce sens, une politique publique claire et engageante serait d’un appui déterminant pour l’avenir de notre industrie. En un mot, avec tous les développements que connait actuellement la scène mondiale et avec l’exacerbation des tensions sur les marchés pharmaceutiques internationaux, il ne devrait pas y avoir de place aux fausses querelles internes entre secteur public et secteur privé, des querelles qui relèvent du passé et que la loi algérienne a par ailleurs déjà tranchées.