Rappel de la Ranitidine injectable : Confusion des prérogatives

Le Ministère de la santé vient d’ordonner, via un courrier datant du 02 septembre 2021 et émanant de la PCH – Pharmacie Centrale des Hôpitaux– le rappel des lots 011, 012, 013 et 016 de la Ranitidine injectable à 50mg d’un fabricant National ; les laboratoires Huppharma, pour un motif de non-conformité desdits lots. Ce rappel de lots qui n’a été suivi d’aucune communication ni indication officielle de quelque nature que ce soit aux praticiens de la santé sur les raisons précises de cette non-conformité, a créé une vive polémique sur les réseaux sociaux, cette très ancienne molécule est supposée contenir une substance classée cancérogène probable pour l’homme par l’OMS, à savoir la NDMA (N-nitrosodiméthylamine).
Il y’a lieu de rappeler que les produits contenant de la Ranitidine ont fait l’objet, en Septembre 2019,de rappels de lots par de nombreuses Agences internationales notamment
la FDA, l’EMA, l’ANSM etc. Suivis d’un retrait d’AMM en Avril 2020, pour suspicion de contenance de d’impureté NDMA ; cancérogène pour l’homme.
Sur le même registre et dans une note d’information datée du 20 Novembre 2019, l’OMS signalait que cette impureté était présente dans les Sartans (antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II), mais les autorités réglementaires ont réagi différemment, autorisant la continuité de la commercialisation des Sartans , avec fixation d’une limite de contrôle de cette impureté pendant une période de transition de deux ans, période durant laquelle les fabricants des principes actifs entrant dans la composition de la Ranitidine sont tenus de revoir leurs processus de fabrication.
Cette partialité est due notamment à l’indication cardiovasculaire des Sartans ainsi qu’à leur place dans les stratégies thérapeutiques, comparativement à la présence d’alternatives thérapeutiques pour la Ranitidine, notamment par l’utilisation d’autres médicaments de la classe des anti-H2 (cimétidine, famotidine etc..) ou des inhibiteurs de la pompe à protons (comme l’oméprazole, esoméprazole, lanzoprazole, etc.).
Une récente étude clinique randomisée réalisée en Juillet 2021, n’a mis en évidence aucune augmentation de la sécrétion urinaire de l’impureté NDMA, et ne soutient pas que la Ranitidine soit convertie en NDMA chez une population généralement en bonne santé. Cette étude qui lève les soupçons sur la Ranitidine présente une faiblesse ;Ses données cliniques récoltées auprès de 24 patients seulement restent relativement faibles pour reprendre la commercialisation de cette molécule. D’autres études cliniques à grandes échelle devront au préalable conforter ces résultats. Pour plus de détails à ce sujet, on peut consulter à bon escient, le lien ci-après : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34180947/
Par-delà les aspects strictement scientifiques, l’analyse des étapes du processus de suivi pour la gestion de ce rappel de lots, nous amène à nous interroger sur un autre volet lié spécifiquement au chevauchement des fonctions, apostolats et autres responsabilités incombant aux autorités sanitaires. Les remarques soulevées portent sur les aspects suivants :
–Le rappel de lots est ordonné par la Pharmacie Centrale des Hôpitaux, sous la tutelle du Ministère de la Santé Publique, alors que la suspension de la commercialisation et le retrait des produits pharmaceutiques relèvent des prérogatives de l’Agence nationale des produits pharmaceutiques, sous la tutelle du Ministère de l’industrie pharmaceutique, conformément à la réglementation en vigueur.
L’article 2 du décret exécutif n° 20-391 du 19 décembre 2020, modifiant l’article du décret exécutif n° 19-190 du 03 juillet 2019 fixant les missions, l’organisation et le fonctionnement de l’Agence nationale des produits pharmaceutiques, dispose que celle-ci :
« est chargée, notamment : de l’enregistrement des produits pharmaceutiques et de l’octroi de la décision d’enregistrement et de son renouvellement et, le cas échéant, de sa suspension, de son retrait, de sa cession et de son transfert, après avis de la commission d’enregistrement des produits pharmaceutiques ».
L’article 47 du décret exécutif n° 20-325 du 22 novembre 2020 relatif aux modalités d’enregistrement des produits pharmaceutiques, prévoit quant à lui que :
« … lorsque la décision d’enregistrement est retirée temporairement ou définitivement, le détenteur et/ou l’exploitant de la décision d’enregistrement doit prendre toutes les mesures utiles pour faire cesser la distribution du produit pharmaceutique concerné. Il est tenu de retirer, de détruire ou de réexpédier le(s) lot(s) commercialisé(s) du produit pharmaceutique et de respecter toutes les dispositions ayant été prises par l’agence nationale des produits pharmaceutiques. Le retrait, la destruction ou la réexpédition des produits pharmaceutiques non conformes sont à la charge du détenteur et/ou de l’exploitant de la décision d’enregistrement. Les modalités de retrait, de destruction ou de réexpédition des produits pharmaceutiques, sont fixées par arrêté du ministre chargé de l’industrie pharmaceutique. »
–Le Centre national de pharmacovigilance qui, d’après l’article 229 de la loi sanitaire 2018, apporte son concours à l’Agence nationale des produits pharmaceutiques est resté toujours sous la tutelle du Ministère de la santé dans l’attente de son transfert effectif sous l’égide du Ministère de l’industrie Pharmaceutique.
En sus de ces contraintes liées à la mise en œuvre des textes réglementaires, il faut ajouter l’absence d’un communiqué officiel mettant la lumière et de manière précise sur :
- -Les causes et l’étendue exacte de ce rappel de lots.
- -Les alternatives thérapeutiques à la Ranitidine, après vérification préalable de leur disponibilité sur le marché à des niveaux de stocks suffisants, et en coordination avec les établissements pharmaceutiques importateurs et/ou les fabricants nationaux .
- -Les indications claires sur la démarche à suivre par les praticiens de santé en liaison avec leurs patients.
Au vus des enjeux et risques sur la santé publique, il parait urgent que les autorités concernées procèdent aussi rapidement que possible à un audit approfondi et à une clarification des procédures à suivre pour tout rappel de lot depuis les officines ou les hôpitaux. Il importe en particulier de mieux préciser les rôles et responsabilités de chaque instance concernée, en conformité avec les textes réglementaires en vigueur. Cette évaluation devrait donner lieu à la mise en place d’un logigramme des responsabilités avec des canaux de communication clairs, fluides et transparents.
La santé doit être d’abord prémunie contre toutes formes de risques et ne pas être exposée à des polémiques stériles sur les réseaux sociaux.
Sandra TOUAT