L’officine pharmaceutique en détresse…
Par : Dr BENFARES Ahmed Pharmacien et président de la section officine de la FAP
Tout récemment un appel à la grève a été lancé par le SNAPO pour protester contre une disposition fiscale qui se proposait de redresser sévèrement un grand nombre de pharmaciens. Ce redressement est relatif aux incitations reversées par la CNAS aux officines conventionnées. Ces incitations étaient déclarées par certains comme chiffre d’affaires avec tout ce que cela comporte comme conséquences fiscales, alors que d’autres les déclaraient comme bénéfice net avec aussi, toutes les conséquences fiscales qui en résultent.
La première option, beaucoup plus avantageuse pour le pharmacien en terme de fiscalité a été remise en question par les services des impôts qui ont décidé de redresser avec rétroactivité cette catégorie.
Fort heureusement, grâce à la perspicacité du SNAPO, la mobilisation des pharmaciens et la bonne volonté des responsables du ministère des finances, la crise a été désamorcée et la grève gelée. La première question qui se pose est pourquoi en être arrivé à cette situation où des pharmaciens (sous le contrôle de comptables) ne déclarent pas un revenu de la même façon. Il y a donc certainement ambiguïté dans l’interprétation des textes et une coordination imparfaite entre les comptables algériens qui possèdent pourtant leurs organes de concertation.
La seconde question concerne le sort de ceux qui, par souci de bien faire ou sous le conseil de leurs comptables, ont inclus les majorations dans le bénéfice net se soumettant ainsi à une imposition beaucoup plus lourde. Selon l’accord conclu entre le Ministère des finances et le SNAPO qui a abouti à la solution d’intégrer les majorations dans le chiffres d’affaires, il s’avère donc que ces pharmaciens ont payé des excédents d’impôts durant des années. Dans un souci d’équitabilité, l’espoir est que ces pharmaciens soient logiquement remboursés de ces excédents payés.
Il ne passe pas une année où le corps des officinaux se soit pas confrontés à des difficultés du genre, les problèmes des disponibilités des médicaments étant une constante, s’ajoutent les questions des majorations régulièrement remises en cause, des impôts, des gardes de nuit et hebdomadaires, des chutes vertigineuses des prix médicaments, du numerus clausus menacé de disparition, de la concurrence déloyale, de la gestion des psychotropes etc.
Crise sur crise, le pharmacien ne connait pas la sérénité dans son exercice qui devient un amoncellement de tracasseries de toute sorte. Pour beaucoup de pharmaciens le problème se pose en terme de survie et de nombreuses fermetures sont constatées.
Il serait temps d’apporter de la stabilité dans cette profession dont le rôle dans la santé publique n’est plus à démontrer et qui mérite d’être encore plus valorisé.
Une sérénité retrouvée nous permettrait d’aller vers nos objectifs qui sont d’être plus utile à la santé du citoyen en intégrant d’autres activités que celles purement commerciales, comme l’éducation thérapeutique du patient et les services liés à la santé évoqués par la loi sanitaire.
Comme tout travail mérite salaire, il faudrait sans doute commencer par éclaircir le volet des revenus du pharmacien pour qu’il soit juste, clair, pérenne et sans équivoque.
Le pharmacien officinal exerce une activité commerciale, dans cette activité il est un gestionnaire qui engage un capital et prends des risques commerciaux en assumant toutes les obligations relevant de cet aspect.
L’officinal exerce aussi et surtout une activité purement pharmaceutique, malheureusement souvent occultée, en prodiguant conseils et accompagnements dans les traitements, dans cette activité il met en œuvre ses connaissances scientifiques et engage une responsabilité médicolégale.
Les revenus du pharmacien d’officine se subdivisent actuellement en trois parties essentiellement :
-D’abord une marge bénéficiaire purement commerciale qui est en régression permanente, elle est passée de 37 % dans les année 1980 à 20% actuellement. La baisse des prix des médicaments dont la valeur a été divisée par deux et par trois pour certains influe aussi sur ce revenu, la marge étant en rapport avec le prix. Il est bon de remarquer que les charges quant à elles ne cessent d’augmenter (le matériel est de plus en plus cher, les salaires des employés augmentent en fonction de l’inflation, le besoin d’un personnel plus nombreux pour répondre aux exigences administratives engendrées par les conventions etc…)
-Ensuite des incitations remises par la CNAS en paiement des efforts fait par le pharmacien pour encourager la production locale et le générique, et, en compensation des pertes de bénéfice engendrées par cette orientation de la consommation vers les produits locaux et les génériques . Cet engagement a fait faire des économies importantes à la CNAS en termes de remboursement.
-Et enfin quelques avantages commerciaux, représentés par des unités gratuites ou des remises financières, qui sont consentis par le fournisseur et proportionnels au volume des achats pour certains médicaments.
Ces trois revenus sont soumis à imposition sans exception. Il est utile de remarquer qu’ils sont tous liés à l’aspect commercial de l’activité officinale. Aucune rémunération n’est consentie pour l’activité scientifique que nous exerçons en dehors d’une minable SHP d sur la vente de certains médicaments et dont le montant se situe entre 1.5 Da et 2.5 Da par boite.
Ce système de rémunération ne paie pas la technicité du pharmacien, il le met dans une dépendance totale de la fluctuation des prix des médicaments d’une part tout en le maintenant à la merci de la CNAS d’autre part. En effet cette dernière a maintes fois menacé de supprimer ces incitations qui selon elle n’ont plus de raison d’être.
Pour plus de justice, pour plus de stabilité, pour plus de reconnaissance de l’acte pharmaceutique et pour mettre le pharmacien à l’abri des aléas conjoncturels, la rémunération devrait être triple :
-La rémunération doit être commerciale parce qu’il y a un investissement financier important, et des opérations d’achats et ventes de produits avec toutes les charges et risques inherents à l’activité commerciale. Cette dernière devrait comporter la marge bénéficiaire sur la vente des médicaments ainsi que les avantages commerciaux concédés à tout type de commerce comme les remises et autres incitations.
-La rémunération doit être aussi professionnelle, parce qu’il y a une compétence exprimée. Elle représente les honoraires du pharmacien qui par l’acte de dispensation met en œuvre un savoir-faire et une responsabilité. Cette dernière devrait être un pourcentage du montant de l’ordonnance ou une rémunération par ligne sur une prescription. Elle sera mentionnée séparément et facturée sur l’ordonnance comme « Honoraires pharmacien » elle paye la technicité du pharmacien et sera réglée par la CNAS en remplacement des incitations ou majorations objets de controverses récurrentes, le montant versé ne devant pas en être inferieur.
-La rémunération doit comporter enfin une indemnité administrative effective et non symbolique en paiement des frais engagés par le pharmacien pour répondre aux exigences fastidieuses et onéreuses de la CNAS en termes de gestion du tiers payant.
Le pharmacien ne peut plus continuer à vivre sur la corde raide dans l’ignorance de ce que sera demain, il a besoin, pour une plus grande efficacité dans ses missions, d’une sécurité relative et d’une valorisation de son exercice par des encouragements et non par la menace des lendemains incertains.
Des textes clairs, précis et pérennes devraient entre promulgués. Ces textes tiendront compte des spécificités professionnelles ainsi que du rôle essentiel du pharmacien dans la prise en charge des questions de santé dans la limite de ses prérogatives légales.
L’officine de part tout ce qu’elle offre comme service au citoyen et tout ce qu’elle se propose d’offrir en se promettant plus d’engagement dans le système de santé, mérite une attention particulière et une prise en charge en mesure de lui restituer le statut qui lui revient.