Portrait : Latifa Lamhène une femme engagée au cœur de la cause des hémophiles
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel jusqu’à présent ?
En 2004, après la fin de mes études universitaires, j’ai pris part au congrès mondial de l’hémophilie qui s’est tenu à Bangkok en Thailand, ma participation m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses notamment en matière d’organisation des soins en faveur des hémophiles dans chaque partie du monde mais surtout de l’investissement ainsi que le dévouement de certaines personnes pour améliorer les soins et la qualité de vie des patients.
L’Algérie n’était pas représentée officiellement à ce congrès, j’avais seulement le rôle d’observateur . Cella a réveillé en moi un amour de la patrie que j’ignorais jusque-là puisque je planifiais de continuer mes études universitaires à l’étranger.
Faut croire que le destin m’a réservé tout autre chose, Je me suis juré de faire honneur au drapeau algérien qui n’était pas représenté et de rendre la dignité aux hémophiles algériens qui étaient mal pris en charge et mal diagnostiqués.
J’ai d’abord créé l’association des hémophiles au niveau de la Wilaya de Tizi-Ouzou dénommé « Espoir des hémophiles » et j’ai pris contact avec les associations de Wilayas existantes à travers le territoire national. Nous avons conjugués nos efforts pour créer une association nationale afin de porter la voie des hémophiles à très haut niveau.
Nous avons mis en place des projets en collaboration avec le ministère de la santé, les professionnels de la santé, la fédération mondiale de l’hémophilie et les firmes pharmaceutiques. Nous avons d’abord assuré la disponibilité des traitements anti-hémophiliques avant d’instaurer le traitement à domicile et enfin la prophylaxie pour la rendre obligatoire aujourd’hui pour chaque enfant algérien hémophile .
Quelles ont été les principales étapes de votre carrière qui ont contribué à votre succès actuel ?
J’ignore si l’on doit parler de succès dans le domaine associatif mais je peux affirmer que les étapes suivies pour améliorer la prise en charge des hémophiles en Algérie a débuté réellement avec les formations prodiguées par notre fédération mondiale, notamment en matière des techniques de plaidoyer, la communication sociale, la gouvernance et l’esprit du leadership. Des formations vraiment essentielles pour éclairer les responsables associatifs sur la gestion associative et à cela il faut rajouter quelques ingrédients basés sur des valeurs humaines notamment,
l’écoute, la volonté, l’engagement personnel, la persévérance et un soupçon d’empathie pour comprendre la douleur et la souffrance des malades dans leur vie quotidienne.
Y a-t-il des personnes ou des événements qui vous ont inspirée tout au long de votre vie professionnelle ?
Beaucoup d’évènement m’ont marqué avant de m’impliquer dans l’associatif, le souvenir pas si loin d’enfants hémophiles devenus handicapés à cause de l’absence de médicaments et de prise en charge adéquate. Une situation qui me révoltait et me donnait tellement d’énergie pour ne jamais baisser les bras et avancer sans relâche
Comme modèle je voyais la différence avec les hémophiles des autres pays qui eux menaient une vie quasi-normale sans handicap.
Un grand écart qui ne me laissait pas insensible, la douleur et la souffrance essentiellement des enfants me lacéraient le cœur
Pouvez-vous partager certains des défis que vous avez rencontrés et comment vous les avez surmontés ?
Le plus grand défis pour moi était de trouver des solutions pour rendre disponibles les facteurs anti-hémophiliques dans toutes les wilayas du pays afin de réduire la mortalité précoce et prévenir le handicap tant redouté chez les enfants et les adultes.
Vis-à-vis de l’international le défis était observé autrement, ils me demandaient souvent si ça ne posait pas de problème pour une femme de gérer une association dont les patients sont principalement des garçons et des hommes!
Le problème n’a jamais était posé et ne constituait pas une préoccupation.
Quelles sont les réalisations dont vous êtes particulièrement fière dans votre carrière ?
L’amélioration de la prise en charge des hémophiles a fait connaitre l’Algérie au niveau international et nous sommes souvent cités en exemple pour donner confiance à d’autres associations dans d’autres parties du monde.
Nous avons aussi mis en place un jumelage associatif avec le Mali étant considéré comme pays émergent et nous avons parrainés d’autres pays en Afrique tel que le Togo ,la Côte d’ivoire et le Djibouti et assurés des formations au niveau de la fédération mondiale de l’hémophile pour plus de 124 pays dans le monde (pays développés compris) dans le domaine du plaidoyer et les relations avec l’industrie pharmaceutique.
Nous avons reçu pour cella la gratification de la fédération mondiale de l’hémophilie étant reconnue meilleure bénévole de la fédération mondiale en 2020.
Malgré toutes les difficultés, ce qui me remplit de fierté et m’émotionne profondément c’est d’observer que de jeunes patients peuvent poursuivre leurs études en toute sécurité, bénéficiant d’un traitement prophylactique à domicile. Ainsi, ils peuvent grandir dans des conditions physiques optimales, loin du handicap redouté pendant de nombreuses années.
Comment percevez-vous l’importance de la Journée Internationale des Femmes dans la société actuelle ?
En fait, me concernant ma condition féminine n’a jamais constitué un frein pour entreprendre quoique ce soit. Avec mes collaborateurs, principalement masculins, on se concerte, on se complète et surtout on se respecte.
Je pense vraiment que la femme n’a rien à prouver pour exister ou pour créer une valeur ajoutée dans la société. Il suffit de vouloir et de s’engager avec ferveur dans tout ce que l’on entreprend quel que soit le domaine.
S.TOUAT