Respect de l’éthique et de la déontologie médicale : L’affaire du « médecin des pauvres » à Sétif, un défi pour la profession

Par Hammou.A
L’affaire récente d’un médecin généraliste à Sétif, se présentant comme le « médecin des pauvres » en raison de ses consultations à un tarif extrêmement réduit, a suscité un vif débat au sein de la communauté médicale algérienne. En pratiquant un tarif bien en deçà de la moyenne, il pose une série de questions cruciales sur les enjeux éthiques, déontologiques et professionnels qui encadrent la pratique médicale dans le pays.
La question du non-respect des tarifs et la distorsion du marché médical
Bien que les tarifs médicaux soient libéralisés en Algérie, cette liberté ne doit pas conduire à une déstabilisation du marché de la santé. La pratique d’un tarif aussi bas que 200 DA pour une consultation, alors que la majorité des praticiens facturent entre 1000 et 1500 DA, introduit une distorsion significative. Ce médecin crée une pression indirecte sur ses confrères, qui doivent couvrir des coûts fixes élevés—loyers, matériel médical, personnel—et maintenir la qualité de leur service.
Cette situation soulève la question de la concurrence déloyale, un enjeu central dans l’économie des soins. En cassant les prix, ce praticien déséquilibre le marché et force les autres médecins à maintenir des tarifs plus élevés pour survivre économiquement, ce qui pourrait créer un fossé entre les patients qui peuvent se permettre des soins de qualité et ceux qui ne le peuvent pas.
La qualité des soins sous pression
La médecine générale exige un temps et une attention particulière pour chaque patient. Les consultations rapides, rendues nécessaires par le grand nombre de patients que ce médecin doit voir pour rentabiliser son activité, posent une question fondamentale sur la qualité des soins prodigués. Peut-on vraiment fournir un service médical de qualité en consultant un volume anormalement élevé de patients en une journée ?
Le serment d’Hippocrate, qui place la santé des patients au cœur de la pratique médicale, exige que chaque consultation soit menée avec rigueur et attention. Or, un rythme de consultations trop soutenu risque d’entraîner une baisse de la qualité des examens, des conseils et du suivi médical, avec des risques potentiels pour la santé des patients.
3. Les enjeux éthiques et déontologiques
Se proclamer « médecin des pauvres » tout en pratiquant des tarifs bas pourrait relever d’une stratégie de communication risquant de dénaturer la fonction première du médecin. Cette posture, qui pourrait être interprétée comme un outil de promotion personnelle, flirte dangereusement avec une violation du code de déontologie. En effet, le médecin est tenu de ne jamais transformer son exercice en un outil commercial ou publicitaire.
L’Ordre des Médecins est en droit d’intervenir lorsque des pratiques risquent de dévaloriser la profession et de créer une image biaisée des médecins. Prétendre être le seul à offrir des soins accessibles peut en effet laisser entendre que les autres praticiens privilégient le profit à la qualité des soins, ce qui nuit à l’image globale de la profession.
Précarisation de la profession médicale
Le fait de consulter pour 200 DA pourrait avoir des répercussions négatives à long terme sur la profession médicale. En abaissant la valeur de la consultation médicale à un tarif symbolique, ce médecin contribue à la précarisation de la profession. Un médecin doit pouvoir valoriser ses compétences, ses années d’études et son rôle dans la société, au risque de voir sa profession se dévaluer, tout comme ses conditions de travail et la qualité des soins qu’il peut offrir.
Cette précarisation s’étend au-delà de la seule question financière. Elle touche à la reconnaissance sociale des médecins en tant que garants de la santé publique, un statut qui se voit fragilisé lorsque leur travail est réduit à un simple service low-cost.
5. Concurrence déloyale et dérives possibles
En opérant à des tarifs aussi bas, ce médecin pourrait être accusé de concurrence déloyale. Les règles du marché, même libéralisé, imposent une certaine régulation pour éviter des pratiques anticoncurrentielles qui pourraient nuire à l’équilibre global de l’offre de soins. La santé ne doit pas devenir un champ de bataille économique où la course aux patients se fait au détriment de la qualité des soins et de l’éthique professionnelle.
L’intervention des instances médicales s’impose
Cette affaire doit être prise très au sérieux par les autorités médicales locales, telles que le Conseil de l’Ordre des Médecins. Les dérives soulevées ici—tarification non-cohérente, possible baisse de la qualité des soins, violation des règles déontologiques, concurrence déloyale—sont autant d’éléments qui méritent un examen rigoureux. La profession médicale ne peut tolérer de telles pratiques sans risquer de fragiliser l’intégrité et la réputation de ses membres.
Il est donc impératif de réfléchir aux conséquences à long terme de ce type d’initiatives, et d’envisager des mesures disciplinaires adaptées pour garantir que les standards éthiques et déontologiques de la médecine en Algérie soient respectés. L’exercice de la médecine ne doit pas devenir un jeu d’influences, mais rester un pilier solide de la santé publique, fondé sur l’équité, la qualité, et le respect du serment d’Hippocrate.