Big Data et cancer en Algérie : L’urgence d’une révolution Bioinformatique

Lors de la 1ère Journée Thématique sur l’Oncogénétique, qui s’est tenue le samedi 22 février 2025, le Pr. Touati Benoukraf, expert en bioinformatique et titulaire d’une chaire de recherche en médecine personnalisée à Memorial University of Newfoundland (Canada)& Président du Comité Scientifique de Genethical, a lancé un appel urgent à une transformation digitale et scientifique dans la gestion des Big Data en oncologie.
À travers sa communication sous le titre « Big Data et Cancer en Algérie : l’urgence d’une bio-informatique en Algérie », il a mis en lumière un enjeu majeur : la nécessité d’une révolution bioinformatique pour le traitement et l’analyse des données génomiques, notamment dans la lutte contre le cancer. Cette problématique ne concerne pas uniquement l’Algérie, mais touche aussi bien les pays développés que ceux en voie de développement.
L’essor du séquençage génomique et son impact en oncologie
Le séquençage du génome humain a été un tournant décisif dans la compréhension des maladies génétiques et du cancer. Initié dans les années 1980, le Human Genome Project a permis, en 13 ans et pour un coût de 3 milliards de dollars, de cartographier l’ensemble du génome humain. Ce travail monumental a ouvert la voie à la médecine personnalisée, permettant aujourd’hui de mieux adapter les traitements aux spécificités génétiques des patients.
Dans le domaine du cancer, cette avancée a transformé la prise en charge des patients, notamment dans les cancers digestifs comme le cancer du côlon. Désormais, le séquençage permet d’identifier des mutations spécifiques, telles que celles du gène KRAS, et de sélectionner les patients susceptibles de répondre à certains traitements, optimisant ainsi l’efficacité thérapeutique et réduisant les coûts pour les systèmes de santé.
La clé de cette évolution repose sur l’utilisation de technologies avancées comme le NGS (Next Generation Sequencing), qui permet de séquencer l’ADN à grande échelle. Toutefois, ce processus génère une quantité massive de données, nécessitant des infrastructures et des compétences bioinformatiques adaptées.
Le problème du biais génomique et ses conséquences
L’un des problèmes majeurs soulevés par le Pr. Touati concerne le biais génomique présent dans les bases de données actuelles. En effet, la majorité des références génomiques utilisées pour le séquençage sont basées sur des populations d’origine caucasienne. Cette situation entraîne des erreurs dans l’analyse des données pour les populations non européennes, notamment nord-africaines, africaines et asiatiques.
Des études ont montré que jusqu’à 10 % du génome des populations africaines n’est même pas représenté dans le génome de référence utilisé actuellement. Cela signifie que certains variants spécifiques aux populations locales ne sont pas détectés ou sont mal interprétés, ce qui peut fausser les diagnostics et impacter l’efficacité des traitements.
La dépendance aux infrastructures étrangères et le risque de « colonisation numérique »
Un autre défi de taille est la souveraineté des données génomiques. Aujourd’hui, la majorité des données séquencées dans plusieurs pays, y compris en Algérie, sont analysées sur des serveurs étrangers appartenant à des géants technologiques comme Amazon, Google ou Microsoft.
Cette dépendance crée plusieurs problèmes :
Perte de souveraineté : Les données des patients algériens sont stockées à l’étranger, échappant ainsi au contrôle national.
Difficulté d’accès aux données brutes : Les pays qui envoient leurs échantillons pour analyse ne récupèrent souvent que les résultats finaux, sans avoir accès aux données complètes, ce qui empêche l’exploitation scientifique locale.
Exploitation économique : Certaines entreprises pharmaceutiques occidentales utilisent ces données pour déterminer la rentabilité de nouveaux traitements en fonction des profils génétiques des patients, laissant les pays en développement dépendants de leurs conclusions.
Ce phénomène, qualifié de « colonisation numérique », représente un frein majeur au développement de la recherche en oncogénétique et en médecine de précision dans des pays comme l’Algérie.
Vers une bioinformatique souveraine : les solutions possibles
Face à ces enjeux, plusieurs pays ont lancé leurs propres initiatives de séquençage génomique afin de créer des bases de données adaptées à leurs populations. Des programmes comme le 1000 Genome Project ou les initiatives nationales en Singapour, au Canada et en Chine visent à réduire la dépendance aux génomes caucasiens et à développer des traitements plus adaptés aux patients locaux.
Pour l’Algérie, le Dr. Touati propose plusieurs actions stratégiques :
Créer une infrastructure nationale de bioinformatique capable de gérer et d’analyser les données génomiques localement.
Lancer un projet de séquençage du génome algérien afin de construire une base de référence propre au pays.
Former des bioinformaticiens et des spécialistes en médecine génomique pour répondre aux besoins croissants en analyse de données.
Établir des collaborations scientifiques internationales pour favoriser l’échange de connaissances sans compromettre la souveraineté des données.
Une révolution indispensable pour l’avenir de la médecine en Algérie
La bioinformatique est aujourd’hui au cœur de la médecine moderne. Sans une maîtrise des Big Data en oncologie, il sera difficile pour l’Algérie de tirer pleinement profit des avancées en médecine personnalisée.
La mise en place d’une stratégie nationale de gestion des données génomiques est une nécessité urgente pour assurer une meilleure prise en charge des patients, réduire les biais génétiques et garantir l’indépendance scientifique du pays.
Comme l’a souligné le Pr. Touati, l’Algérie a les compétences et les ressources pour relever ce défi. Il est temps d’initier une révolution bioinformatique pour assurer un avenir médical plus précis, plus efficace et plus autonome.
K. Y.