Le cancer médullaire de la thyroïde : approche phénotypique et génotypique

Le Professeur Soumeya Fedala, du service d’endocrinologie et maladies métaboliques du CHU de Bab El Oued, lors d’une communication présentée durant la première Journée Thématique sur l’Oncogénétique, qui s’est tenue le samedi 22 février 2025, a mis en lumière les particularités du cancer médullaire de la thyroïde (CMT), une pathologie rare mais aux implications pronostiques majeures.
À travers une analyse approfondie des aspects phénotypiques et génotypiques de ce cancer, elle a souligné les avancées diagnostiques et thérapeutiques qui permettent aujourd’hui une prise en charge plus ciblée et efficace.
Un cancer rare mais redoutable
Le Pr Fedala a expliqué que le CMT est une tumeur rare des cellules parafolliculaires C de la thyroïde, représentant seulement 2 à 3 % des cancers thyroïdiens, avec une incidence estimée entre 1 et 2 cas par million d’habitants. Cette pathologie se distingue par sa production de calcitonine et, plus inconstamment, d’antigène carcino-embryonnaire (ACE). Elle se manifeste sous deux formes principales : sporadique (75 % des cas) et héréditaire (25 %), cette dernière étant souvent associée aux néoplasies endocriniennes multiples de type 2 (NEM2).
Si le CMT reste stable dans le temps, contrairement aux cancers thyroïdiens papillaires en augmentation due notamment aux effets post-Tchernobyl et Fukushima, il est responsable de 8 % des décès par cancer thyroïdien. La rapidité du diagnostic est un enjeu clé, car dans la moitié des cas, il est détecté à un stade déjà avancé avec une extension ganglionnaire.
Facteurs pronostiques et classification
Le pronostic du CMT dépend de plusieurs critères :
- L’âge : une découverte après 45 ans est associée à un pronostic moins favorable.
- Le stade tumoral : une extension loco-régionale réduit la survie à 10 ans à 60-80 %, et en cas de métastases, ce taux chute à environ 20 %.
- Les caractéristiques histopathologiques : la dernière classification de l’OMS distingue les formes à haut grade, définies par un index mitotique élevé, un KI67 supérieur à 5 % et une nécrose tumorale, des formes à bas grade, mieux contrôlées.
Vers un diagnostic plus précoce et précis
Le diagnostic repose sur plusieurs éléments :
- L’échographie thyroïdienne : elle met en évidence un nodule hypoéchogène suspect.
- La calcitonine sérique : son dosage est le marqueur clé pour le diagnostic préopératoire.
- L’étude génétique : la mutation du gène RET (présente dans près de 50 à 80 % des formes sporadiques et systématique dans les formes héréditaires) est un facteur déterminant pour classer la maladie et adapter le traitement.
Le génotypage familial constitue un axe majeur de prévention. En cas de mutation RET identifiée, un dépistage précoce chez les apparentés est recommandé, avec une thyroïdectomie prophylactique chez les enfants porteurs de certaines mutations à haut risque (notamment du codon 634), idéalement avant l’âge de 5 ans.
Des thérapies innovantes et ciblées
Le traitement de première intention reste la chirurgie, avec une thyroïdectomie totale et un curage ganglionnaire en fonction de l’extension. Toutefois, les progrès en thérapie ciblée révolutionnent la prise en charge des formes avancées ou métastatiques.
Les inhibiteurs spécifiques du RET comme le selpercatinib et le pralsetinib ont montré une efficacité remarquable chez les patients porteurs de mutations RET somatiques ou germinales. En parallèle, les inhibiteurs de VEGF, ciblant les voies de l’angiogenèse tumorale, offrent également de nouvelles perspectives.
Un espoir pour l’avenir
Les avancées en biologie moléculaire, notamment l’intégration des tests génétiques et des biopsies liquides, permettent aujourd’hui une meilleure identification des mutations et l’ajustement des traitements en fonction des profils tumoraux. Le réseau français Andocan Tutiref rapporte ainsi une amélioration du taux de survie à 10 ans, désormais estimé à 48,5 % grâce aux thérapies innovantes.
Le Pr Fedala a affirmé que le CMT reste un défi médical, nécessitant une prise en charge multidisciplinaire incluant endocrinologues, chirurgiens, oncologues et généticiens. Le développement de consultations d’oncogénétique et la mise en place de protocoles adaptés permettront d’optimiser le dépistage familial et d’améliorer le pronostic de cette maladie redoutable.
K. Y.